Chapitre 75 : le siège de Lamide

Publié le par RoN

« Nous étions plus de cinq cent, commença Carolane. On a survécu des mois dans la ville de Lamide. C’était une vraie place forte : une ancienne cité fortifiée, dont le centre était entouré de gigantesque remparts infranchissables. C’est du moins ce qu’on croyait. Au début, tout s’est passé à peu près bien. Dès que l’épidémie a atteint la ville, le maire a décidé de fermer les seuls accès : quatre routes qui pénétraient le centre dans la direction des points cardinaux. Oh, cette décision n’a pas du être facile. Ca a permis de sauver tous les habitants du centre ville, mais en condamnant les pauvres gens qui vivaient à l’extérieur, et qui ont voulu venir se réfugier derrière les remparts. Mais pour ne pas laisser l’infection entrer, il a fallu agir vite. On a regroupé des véhicules et des débris divers devant les entrées, avant de faire s’effondrer une partie des murailles pour colmater totalement les accès. Seule une entrée n’a pas subi ce sort, et heureusement car sinon on n’aurait jamais pu s’échapper quand le moment est venu. L’accès ouest était pourvu de deux portes énormes, et il a suffit de les refermer pour s’isoler totalement de l’extérieur.
-    Personne ne s’est opposé à ça ? interrogea Jack. Laisser la majeure partie des habitants crever pour en sauver quelques uns ?
-    Oh si, mais on s’est vite rendus compte que le maire avait eu raison. Bien tranquilles sur nos remparts, on a pu observer le chaos qui régnait tout autour de nous. Incendies, massacres, en quelques heures la ville était à feu et à sang. On avait l’impression d’être sur un petit îlot au milieu de l’enfer. Ca a été dur, surtout pour ceux qui avaient des amis ou de la famille restés à l’extérieur. Quand ça s’est calmé un peu, certains ont tenté de sortir pour aller chercher leurs proches. On ne les a jamais revus, et ça a dissuadé la plupart des gens de quitter le fort.
-    Vous y êtes restés combien de temps ?
-    Des mois. Une longue, longue période de rationnement, de désespoir, de conditions de vie déplorables. Maladies, malnutrition, manque d’eau, les gens tombaient comme des mouches, en particulier les vieux et les enfants.  Et au pied des murailles, ces putains de zombies qui nous harcelaient avec leurs gémissements et leurs grattements. Toujours plus nombreux, ce qui n’avait rien d’étonnant étant donné que Lamide comptait plusieurs milliers d’habitants. Pas mal de gens ont fini par péter les plombs. Certains sortaient de la ville et se lançaient dans des attaques suicidaires contre les hordes de goules, d’autres hurlaient que l’humanité était perdue, que notre survie était un blasphème et qu’il fallait abandonner tout espoir. Un jour, quelques tarés se sont mis à attaquer les gens au hasard, annonçant qu’il était temps d’en finir avec la race humaine. Ils ont tué au moins une trentaine de personnes, mais se sont finalement faits massacrer… »
Au regard de Carolane, Jack comprit qu’elle avait du prendre part à la mise à mort de ces cinglés. Des regrets, des remords brillaient dans ses yeux, mais également une certaine détermination, une férocité qui montrait bien que cette femme était prête à tout pour survivre, même à tuer des gens non infectés. Le jeune homme ne le comprenait que trop bien. Lui aussi avait été amené à exécuter des humains.
« Pas la peine de t’en vouloir, dit-il à Carolane. On a tous été obligés de faire des choses dont on n’est pas fier, depuis le début de cette merde. C’est ça ou crever.
-    Ouais, j’imagine… répondit-elle en hochant la tête. Tout le monde a vécu des horreurs, mais on n’est pas tous capables de les encaisser… Le pire, ça a été les similigoules.
-    Les quoi ?
-    Vous avez jamais eu affaire à ça ? Quelle chance… On a appelé similigoules les humains non contaminés qui deviennent complètement cinglés et se prennent pour des zombies.
-    Ca existe vraiment ??
-    Oh oui. On en a eu deux ou trois parmi nos voisins. Un beau jour, ils se mettent à arracher leurs vêtements et leurs cheveux, poussent des grognements et attaquent tout ce qui bouge.
-    Putain. Tu es sûre qu’ils n’avaient pas été mordus ?
-    Ouais, ils restaient humains. Ils ne sont pas contagieux, et on peut les tuer sans être obligé de les blesser à la tête. Ce sont juste de pauvres bougres qui pètent les plombs… mais ils sont quand même sacrément dangereux. Même s’ils ne vous transforment pas en zombie, suffit qu’ils vous mordent au cou et vous risquez de saigner à mort… Même avec une morsure au bras, vous avez des chances d’y rester.
-    La bouche humaine est un véritable nid à bactéries, confirma Marie.
-    Ouais, et on n’avait presque aucun médicament. Il n’y avait qu’une seule pharmacie dans le centre ville, et elle a rapidement été vidée. Même chose pour le supermarché. En à peine un mois, on n’avait presque plus aucune denrée utilisable. On a survécu tant bien que mal en faisant pousser des trucs, en bouffant tout ce qu’on trouvait… Certains… certains mangeaient même les morts… »
Un frisson d’horreur parcourut l’assemblée, et beaucoup de femmes baissèrent les yeux, de la honte dans le regard. Maintenant qu’elles avaient le ventre plein, rassasiées avec de la nourriture civilisée, leurs terribles souvenirs revenaient les torturer. Mais dans ces circonstances, pouvait-on les blâmer ? Face à la faim, sans aucun espoir, l’homme devient facilement une bête. C’était ça ou mourir. Et finalement, qu’y a-t-il de si criminel à manger de l’être humain ? Nous sommes un esprit dans un corps ; si l’esprit disparaît, nous ne sommes plus qu’un corps, un tas de viande qui, d’une manière ou d’une autre, finira dévoré par les microorganismes. Non, si on met de côté la religion et ses principes stupides, on ne peut philosophiquement rien trouver de mal à se repaître des morts. A l’heure de la prise de conscience écologique, on peut même considérer cela comme une sorte de recyclage… Mais ce n’était pas le moment de tenir ce genre de débat.
Carolane inspira un bon coup avant de continuer son histoire. Jack s’était roulé un joint et il lui en proposa une taffe. Ne réalisant sans doute pas que ce n’était pas une simple cigarette, la représentante des femmes tira une bonne latte, changea de couleur et redonna le pétard au jeune homme en toussant. Elle n’avait encore jamais essayé la drogue, mais après s’être adonnée au cannibalisme, elle n’était plus à un péché près. Et la super-weed eut au moins l’avantage d’alléger un peu le poids de sa confession.
« Bref, continua-t-elle après avoir repris ses esprit, il y a un mois et demi, nous n’étions plus que deux cent dans la ville. Et plusieurs milliers de goules au pied des murailles. On pressentait que la fin était proche. Les zombies se transformaient, et certains réussissaient régulièrement à escalader le mûr d’enceinte. On était obligés de poster constamment des veilleurs pour les empêcher d’entrer. On n’avait quasiment pas d’armes, juste des lances de fortune, des couteaux, des machettes, ce genre de trucs. Plus d’une fois, les monstres ont failli réussir à entrer. Ils devenaient de plus en plus intelligents, attaquant à plusieurs dans des directions différentes. On avait fini par se résoudre à laisser tomber, quand une faible lueur d’espoir s’est profilée à l’horizon.
-    Notre message radio, comprit Jack.
-    Ouais. Quand on a compris qu’on n’était pas les derniers survivants, que d’autres humains essayaient de s’organiser, de lutter, on a décidé de tenter le tout pour le tout. Quelques bus traînaient dans la forteresse. On les a rafistolés et renforcés de notre mieux, espérant réussir à effectuer une percée dans l’armée de goules. Dans l’un des véhicules, on a entassé des bonbonnes de gaz, de l’essence, tout ce qui pouvait exploser. Le plan était de l’envoyer péter dans les zombies, puis de tracer comme des malades à travers la trouée. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. La veille du départ – de la mission suicide, disaient certains – les goules ont réussi à pénétrer dans la ville. De nuit, une bonne cinquantaine se sont mises à escalader le mûr, mais ce n’était qu’une diversion. Le gros des troupes est arrivé par les égouts.
-    Merde ! s‘exclama Jack. Pourtant, elles préfèrent généralement éviter les endroits couverts et sombres…
-    Ouais. C’est ce qu’on croyait, et c’est ce qui nous a pris en défaut. Ces saloperies deviennent intelligentes et organisées… »
Ca, ils le savaient déjà, mais n’imaginaient pas que ce serait à ce point. Que les goules soient capables de mettre en place de telles tactiques était terrifiant. Diversions, travail en équipe, elles avaient maintenant tout d’une véritable armée.
« Comment vous vous en êtes sortis ? interrogea le jeune homme.
-    Par miracle. Et grâce à nos hommes. Ils sont restés pour se battre et ralentir les zombies tandis que les femmes embarquaient en vitesse dans les bus. On n’était pas prêts, et on n’a rien pu emporter : pas de vivres, pas de vêtements, quasiment pas d’armes. Malgré la panique et le chaos, presque toutes les filles ont réussi à rejoindre les véhicules. Steve, mon mari… »
Sa voix s’étrangla et elle resta silencieuse quelques instants, des larmes perlant à ses yeux. Cette fois, ce fut elle qui réclama quelques taffes du pétard de Jack avant de pouvoir recommencer à parler.
« Steve s’est mis au volant du bus explosif. Je n’ai pas pu lui dire au revoir ou merci, je n’ai même pas eu le temps de lui dire que je l’aimais. On a ouvert les portes, et il a mis les gaz alors que les zombies s’engouffraient dans la ville. Il a réussi à faire quelques dizaines de mètres avant de se faire sauter. La déflagration a été suffisante pour décimer une bonne centaine de monstres, ce qui nous a permis de passer. On s’est enfuies en abandonnant nos maris, nos frères, nos fils… Les imbéciles. « Les femmes et les enfants d’abord ! », qu’ils gueulaient ! Quelle connerie ! Hommes ou femmes, on pouvait tous se battre. Merde, j’aurais préféré crever avec mon mari ! Et c’est encore pire pour mes amies : leurs mecs doivent tous être devenus des putains de zombies, maintenant !
-    Mais c’est grâce à eux que vous êtes en vie…
-    Je sais… Ce… c’est sans doute plus facile d’être en colère contre eux que de les pleurer… Je leur en veux, mais je les aime, tous. Leur sacrifice nous a sauvé, a permis à cent femmes de sortir de cet enfer.
-    Cent ? Mais vous n’êtes pourtant qu’une cinquantaine…
-    Oui. Car même en s’enfuyant de Lamide, on n’était pas tirées d’affaire… »

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