Chapitre 123 : fraternité

Publié le par RoN

Le trophée d’Arvis récupéré, les trois jeunes gens ne s’attardèrent pas plus longtemps dans cet endroit, peu curieux de savoir ce que le zoo avait d’autre à leur offrir. Mais ils n’étaient pas au bout de leurs peines. Rejoignant le reste des adamsiens, ils les trouvèrent en train d’affronter une meute d’une dizaine de bestioles monstrueuses. Des chiens, ou peut-être même des loups, difficile de faire la différence étant donné leur degré de transformation important. Leur taille et leur férocité auraient pu en faire de terribles prédateurs, mais ils ne firent heureusement pas long feu face aux soixante-dix humains armés et rompus au combat.
Le problème réglé sans trop de casse, le groupe reprit la route, préférant courir le risque de rouler en plein jour plutôt que de rester près de ce parc rempli de chimère plus terrifiantes les unes que les autres. Au final, ils avaient sans doute échappé au pire. Jack n’osait imaginer ce qui se serait passé s’ils avaient été confrontés aux autres animaux élevés dans le zoo avant l’infection : singes, aigles, vautours, rhinocéros… qui sait ce qu’ils auraient pu trouver encore. Au fond, mieux valait ne pas le savoir.
Ils parcoururent une cinquantaine de kilomètres, distance suffisante pour s’estimer en sécurité, et s’arrêtèrent à proximité d’une ville qui devait compter quelques milliers d’habitants avant la catastrophe. Visiblement, la cité avait été bombardée. Une bonne partie des bâtiments était en ruine, écroulés ou calcinés par du napalm, mais les adamsiens ne tentèrent pas de s’y aventurer pour autant. Ils avaient dû exterminer deux hordes en chemin, les zombies les repérant beaucoup plus facilement une fois le jour levé. Tous étaient exténués et n’avaient aucune envie de voir si la ville dévastée était encore squattée par des goules.
Lloyd Bronson était dans un état critique. Il avait perdu beaucoup de sang, mais ses camarades ne pouvaient pas se permettre de le laisser se reposer trop longtemps. Une fois par heure, il était nécessaire de le réveiller pour le faire tirer quelques lattes de super-weed ou boire un peu de tisane. Ils lui transfusèrent un peu du sang de son frère, ce qui eut l’air de lui faire du bien. Mais l’infirmière Jane se faisait tout de même du souci, craignant une infection malgré la dose massive d’antibiotiques qui lui avait été administrée. Les conditions de son « opération » étaient bien loin de la stérilité d’un bloc opératoire. Les probabilités qu’il n’en réchappe pas n’étaient pas négligeables.
Arvis restait constamment auprès de lui, épongeant sa transpiration, plaçant des linges humides sur son front bouillant. Il ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable. C’était de sa faute si son frère était dans un tel état. S’il n’avait pas été si con, s’il ne s’était pas isolé du groupe, se jetant en plein dans le nid des chimères, rien de tout ça ne serait arrivé. Même si Lloyd s’en tirait, il serait estropié pour le reste de sa vie, tel le reflet de son jeune frère.
« Pardonne-moi… lui murmurait Arvis en s‘occupant de lui. Je suis tellement désolé…
-    Arrête tes conneries… souffla Lloyd dans un de ses rares moments de conscience. T’as rien à te reprocher, frangin. Tu m’as sauvé la vie…
-    Non, c’est toi qui m’as sauvé. A cause de moi, tu as perdu un bras…
-    Qu’est-ce que j’en ai à foutre ? J’en avais deux de toute façon. Alors que j’ai qu’un seul frère. Ca valait le coup. Si c’était à refaire, j’hésiterais pas.
-    Merci… chuchota le jeune homme en serrant les paupières pour s’empêcher de pleurer.
-    Te fais pas de souci. Je vais m’en tirer. Et à partir de maintenant, on est parfaitement complémentaires. Tu seras mon bras droit, je serai ton bras gauche.
-    Ca marche. Mais maintenant, arrête de parler et repose-toi. »
Lloyd hocha faiblement la tête, les yeux clos et le teint rouge. Il se sentait brûlant et malgré son optimisme, il savait au fond de lui que ses chances de voir le matin suivant étaient faibles. Mais il ne regrettait rien et n’avait pas peur. S’il devait mourir aujourd’hui, il se satisferait de savoir que son frère resterait en vie grâce à lui.
La fraternité est sans doute la forme d’amour la plus admirable. Sa source est profonde, bien plus que ne peut l’être la passion entre deux individus qui se rencontrent par hasard. Un couple est uniquement lié par ses sentiments, par les hormones sécrétées dans leur corps lorsqu’ils sont en contact l’un avec l’autre. Alors que l’attachement entre des frères et sœurs vient du plus profond de leur nature. Les membres d’une même famille sont liés par leurs cellules mêmes, par leur patrimoine génétique partagé et en grande partie semblable. Un frère constitue une version légèrement différente de nous-même, une des alternatives – nombreuses, soit, mais pas infinies – de la rencontre des gamètes de nos géniteurs.
Bien entendu, il existe des exceptions, et certains frères ont l’impression d’être trop différents pour se supporter. Mais ce n’est qu’une illusion. Plus on se ressemble, et plus les différences semblent apparentes. Chez les animaux, il est rare d’observer des discordes entre les membres d’une même fratrie. Génétiquement, des frères ne peuvent que s’aimer. Ils doivent par conséquent bénéficier du même amour que l’on se porte à soi-même.
Lloyd Bronson venait d’en faire la démonstration, sacrifiant sans regret son corps, sa vie pour Arvis. Car il semblait bien que le jeune homme risquait de ne pas s’en sortir. Au soir, sa fièvre n’avait fait qu’augmenter, et il délirait dans son sommeil sous le regard impuissant de ses camarades. La plaie de son bras était rouge vif, marbrée de lésions sombres. Les compétences de Jane était largement insuffisantes pour identifier l’infection, et leur précieux livre de médecine avait disparu depuis longtemps, emporté dans l’incendie de la base d’Adams. Impossible de savoir quel antibiotique précis lui administrer. Et ils ne pouvaient pas se permettre de sacrifier tout leur stock de médicaments, nombre d’adamsiens en ayant également besoin.
Par bonheur, la providence semblait être de leur côté après les malheurs qu’ils avaient enduré. Alors que la nuit tombait et que le groupe s’apprêtait à repartir malgré l’état de Lloyd, une silhouette se présenta sur la route. Individu qui faillit bien être exécuté sur le champ, son corps nu et noirâtre rappelant trop l’allure des goules. Si les adamsiens avaient toujours possédé des munitions pour leurs armes à feu, l’homme aurait été exécuté sans sommation.
Heureusement, quand Jack sortit de son bus pour pourfendre cet intrus, il constata bien vite qu’il avait affaire à un de ses semblables.
« Me tuez pas ! glapit le nouvel arrivant en levant les mains. Je suis humain !
-    Mais qu’est-ce que tu fous à poil ? s’étonna le leader des adamsiens. Et pourquoi tu es recouvert de… visque ? »
Jack avait un instant pensé qu’il se trouvait face à une légendaire similigoule. Mais l’homme ne manifestait aucune agressivité, bien au contraire. Il paraissait ravi de trouver d’autres êtres humains, et se trouva un peu honteux de se présenter à eux dans cet état. Marie lui apporta une serviette pour se décrasser et couvrir sa nudité.
« Je m’appelle Samuel, annonça-t-il. Samuel Lebert. Oh, vous ne savez pas à quel point ça fait du bien de voir de nouvelles têtes. J’avais peur que vous ayez mis les voiles avant que j’arrive…
-    Ravi de te rencontrer, Sam, dit Jack avant de se présenter à son tour. Qu’est-ce que tu fais dans le coin ?
-    Je survis, voilà tout. Avec ma femme Lydia. On squatte un immeuble, au sommet duquel j’ai réussi à faire pousser quelques trucs, à peine de quoi subsister. Heureusement qu’elle ne mange pas beaucoup. C’est en jardinant ce matin que je vous ai repérés.
-    Et où est-ce qu’elle est, ta nana ? interrogea Béate.
-    Restée à l’appart’. Elle ne peut pas vraiment bouger… C’est pour ça que je suis venu vous voir. On aimerait venir avec vous, où que vous alliez. Survivre à deux, c’est l’enfer.
-    Ca, j’imagine, commenta Jack, l’informant de leur destination. Et donc, tu voudrais qu’on t’aide à déplacer ta femme ?
-    Oui, s’il vous plait. Je pourrais me débrouiller, s’il n’y avait pas ces saloperies de zombies. Tout le quartier est infesté.
-    Mais alors, comment t’as fait pour arriver jusque là ? »
En y réfléchissant, il pouvait le deviner. Mais c’était tellement fou, tellement osé, que tenter le coup relevait soit du génie, soit de la stupidité. Samuel s’était tout bonnement… déguisé en goule. Il avait retiré ses habits, s’était servi d’un cadavre d’évolué - tué non sans difficulté – pour s’enduire de visque, et était sorti en croisant les doigts pour que les zombies ne fassent pas la différence entre lui et un des leurs. 
« J’y crois pas ! s’exclama Marie. Ca a vraiment marché ?
-    Oui, puisque je suis là. Inutile de vous dire que j’ai flippé à mort. Mais c’était la seule solution.
-    Les goules n’ont pas fait attention à toi ? C’est formidable. Les sens des évolués sont pourtant très développés. J‘ai du mal à croire qu’ils ne t’aient pas repéré.
-    Ils ont été intrigués, c’est clair. Certains se sont approchés de moi, comme pour me renifler, mais ils m’ont laissé passer et ne m’ont pas suivi. J’imagine qu’ils ont cru que j’étais un jeune infecté.
-    C’est dingue… commenta Jack. On aurait dû y penser avant. Ca nous aurait peut-être permis de semer l’armée de goules… »
Cette découverte ouvrait en effet de nombreuses possibilités. Jack avait encore un peu de mal à y croire, mais Samuel était la preuve vivante que cette tactique fonctionnait. Et de toute manière, il allait bientôt expérimenter cette stratégie par lui-même…

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<br /> Pour tromper ton ennemi, devient ton ennemi...<br /> <br /> <br />
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