Chapitre 17 : journal de Marie

Publié le par RoN

Ca fait un peu plus d’un mois que l’épidémie a débuté, et ça y est, ce qu’on craignait tous est arrivé. Depuis hier, on n’entend plus rien à la radio. Bon, on s’y attendait. Les messages avaient beau promettre des secours, chaque jour les nouvelles étaient un peu plus mauvaises. A l’heure actuelle, j’ai bien peur que la totalité du pays ne soit contaminée. Espérons que nos voisins se montreront plus efficaces que notre gouvernement pour contenir l’infection, mais parti comme c’est, on risque de passer des mois dans ce labo. Mais on ne va pas se plaindre, on est plutôt tranquilles, ici. De la beuh, de la bouffe, de l’électricité, on a tout ce qu’il nous faut. Ah, ce qui me manque surtout, c’est un peu de sexe… Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour une jolie fille avec des gros seins et une voix douce… Enfin bon, on est tous dans le même cas. A part évidemment Jack et Aya… Ces salops se donnent du bon temps, et ne se soucient pas d’être discrets. Ils pourraient quand même faire preuve d’un peu plus de tact… Mais je ne vais pas les blâmer. Même si on garde le moral, notre situation est un peu désespérée, et à leur place, j’essaierais aussi de prendre le maximum de plaisir avant de crever.
En désespoir de cause, je passe beaucoup de temps à observer les zombies, dehors, et à faire des hypothèses. J’aimerais beaucoup en choper un pour l’étudier. Il suffirait d’y aller à plusieurs, bien protégés, d’en immobiliser un et de l’attacher solidement. Mais quand j’ai proposé ça aux autres, j’ai essuyé un refus unanime. Bon, en même temps, je les comprends. Ca ne m’enchanterait pas plus qu’eux d’avoir une goule dans notre abri, mais en attendant, ma curiosité scientifique me taraude. D’autant plus que j’ai l’impression que ces monstres commencent à changer. Rien de vraiment clair encore, mais quelques éléments semblent différents.
Les blessures, déjà. Au début de l’épidémie, tous les contaminés présentaient des traces de morsures plus ou moins graves. Mais depuis plusieurs jours, j’en vois qui ne montrent aucune plaie visible. Impossible d’être sûre sans en observer de près, évidemment. Au départ, j’ai eu peur que cela signifie que l’infection pouvait se transmettre par d’autres moyens que l’échange de fluide. L’hypothèse de la transmission par voie aérienne est terrifiante. Les zombies ne peuvent pas nous atteindre dans notre abri, mais si le virus – je parle de virus, mais ça pourrait tout aussi bien être autre chose, une bactérie, par exemple – peut voler, alors on est sérieusement dans la merde.
Mais ce matin, les observations que j’ai faites sur une goule m’amènent à une autre possibilité. A première vue, le monstre ne présentait pas de blessure. Mais quand je l’ai matée plus précisément, grâce à la paire de jumelles qu’on a chopée dans la galerie marchande, j’ai cru voir une marque sombre sur un de ses bras. Marque qui ressemblait fort à une morsure, mais qui était apparemment refermée depuis un certain temps. Bon, évidemment, je peux me tromper. Mais si j’ai vu juste, ça signifie que les zombies peuvent cicatriser.
Si c’est bien le cas, ça remet en cause tout notre raisonnement. Si ces monstres peuvent guérir, difficile de les considérer comme des morts-vivants. Mais à moins de pratiquer des expériences, difficile d’en savoir plus.
Les goules qui ne présentent pas de blessure montrent aussi d’autres caractéristiques, qui viennent renforcer mon hypothèse selon laquelle elles sont en train de changer. N’oublions pas que nous sommes situés en plein dans le foyer de l’infection – même si on ignore tout des raisons qui font que l’épidémie a débuté. Par conséquent, les zombies qui traînent dans le coin sont vraisemblablement les plus anciens du pays. Nous sommes donc les mieux placés pour étudier leur évolution, si évolution il y a. Mais j’en suis de plus en plus convaincue.
Je ne sais pas si c’est parce que nous sommes dans un pays de vieux – pardon, de seniors – mais beaucoup de goules sont sérieusement dégarnies. En particulier celles qui, comme je l’ai dit, ne semblent pas présenter de blessure apparentes. Même certaines femmes, pourtant moins sensibles à la dégradation du cuir chevelu, ne présentent parfois qu’une mince pellicule de cheveux. Si on considère les goules comme des morts-vivants en train de se décomposer, ce n’est pas forcément étonnant. Mais ces monstres ne présentent aucune trace de dégradation. Leur peau semble parfois plus sombre que la normale, mais ne pourrit pas comme on pourrait s’y attendre de la part de cadavres ambulant. Non, décidemment, le terme de « zombie » est de moins en moins approprié.
Pour moi, cette chute des cheveux va de pair avec l’habitude qu’ont les goules de vivre à poil. Je m’explique. Nous avons bien vu que les zombies ne mordaient pas pour se nourrir. Comment font-ils alors pour se déplacer, sans aucune source d’énergie pour faire bouger leur corps ?
Eh bien selon moi, leur source d’énergie est… le soleil. Comme les végétaux qui pratiquent la photosynthèse, les zombies doivent être capable de transformer directement l’énergie lumineuse en énergie physique. Bien plus efficacement que les plantes, d’ailleurs, puisque ces dernières ont quand même besoin d’eau et de minéraux pour se développer. Je sais que cette théorie semble complètement absurde – et terrifiante. Mais elle explique pourtant parfaitement le comportement des zombies, qui auraient ainsi besoin d’exposer le maximum de leur surface corporelle aux rayons lumineux. Un de leurs premiers réflexes après la contamination est de retirer leurs habits. La perte des cheveux, qu’elle soit naturelle, ou que les zombies se les arrachent eux-mêmes, est également parfaitement logique. Le cerveau, qui semble leur unique point vital, est l’organe qui consomme le plus d’énergie, et les cheveux sont en partie là pour le protéger du soleil. Sans eux, l’apport d’énergie par ce même soleil ne peut être que plus important.
Enfin, nous savons que les zombies sont beaucoup moins actifs la nuit que le jour. Pendant la journée, s’ils ne déambulent pas à la recherche d’une proie, ils s’étendent au soleil de tout leur long, vraisemblablement pour stocker de l’énergie. Et la nuit, quand la source lumineuse disparaît, ils évitent logiquement de bouger pour ne pas trop entamer ces réserves.
Vraiment, tout me semble coller parfaitement. Je peux bien entendu me tromper. Et à vrai dire, je l’espère. Car si le soleil est bien leur source d’énergie, jamais ils n’en manqueront. Jamais ils ne mourront de faim, contrairement à nous, êtres si dépendants de la matière. C’est tout bonnement terrifiant.


Mais je crois bien qu’il y a encore pire. Depuis un certain temps, les zombies « intacts » me semblent plus vivaces. Au début, ils étaient clairement maladroits, ayant même du mal à marcher en ligne droite, sans parler de monter des escaliers. En trottant tranquillement, on pouvait facilement les distancer. Mais hier, j’en ai définitivement vu un piquer un sprint. Je suppose qu’il avait du apercevoir une proie ou entendre quelque chose. Alors qu’il était allongé sous le soleil, il s’est relevé brusquement – beaucoup trop brusquement à mon goût – et s’est mis à foncer vers le nord. Je n’en avais jamais vu un aller aussi vite. J’espère sincèrement que ce n’était qu’un cas unique. Car si, en plus de se nourrir de soleil, ils deviennent aussi rapides que nous, on est dans la merde jusqu’au cou.
J’ai fait part de mes réflexions à Jack, et ça a eu l’air de beaucoup l’inquiéter. Depuis, lui aussi passe beaucoup de temps à observer les zombies. Je crois qu’il a quelque chose en tête. Quoi que ce soit, espérons juste que ça ne nous mettra pas en danger…



(image  couverture de l'album "Sun Goddess" de Hamsey Lewis)

Publié dans Chapitres

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article